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What About Her ? – Elise Tremeau

Sep 25, 2024

Dès ses premiers festivals, Elise Tremeau ne se contentait pas d’apprécier les concerts ; son attention était captée par les changements de plateaux et les mouvements des équipes techniques. Au lycée, c’était davantage les câbles et l’installation des micros qui l’intéressaient quand ses potes répétaient. Cette curiosité innée et cet appétit pour les aspects souvent méconnus des spectacles et les métiers dits de l’ombre, ne l’ont jamais vraiment quittée ! Depuis deux ans, régisseuse générale de la scène de musiques actuelles, le Grand Mix à Tourcoing, Elise nous a partagé les étapes de son parcours et ce qui l’anime fortement sur cette fonction de « régie G ».

Direction les Hauts-de-France, et plus précisément dans la ville de Tourcoing à une quinzaine de kilomètres au nord- est de Lille et à autant de kilomètres de la frontière Belge. Nous sommes à la fin des années 1990, en 1997 exactement, quand le Grand Mix voit le jour sous l’impulsion d’une volonté politique locale de proposer un équipement culturel digne de ce nom et une offre dédiée aux musiques actuelles sur son territoire. C’est un ancien foyer paroissial qui est alors transformé en scène de musiques actuelles ! 20 ans après, cette salle de 650 places s’est forgé une solide identité artistique autour des musiques indépendantes, rock bien sûr, mais aussi progressivement celles du rap et des musiques électroniques. Elle est, entre autres, fortement impliquée sur les enjeux écologiques des musiques actuelles ainsi que sur les enjeux d’égalité de genre et questionne très souvent son projet en écho d’autres réalités européennes de la musique, situation transfrontalière oblige ! 20 ans après, le Grand Mix a l’opportunité de s’agrandir via la rénovation d’un bâtiment qui jouxte la salle. La structure se dote alors d’un club de 300 places, d’un nouveau studio et d’un espace de restauration, lieu de vie, ouvert les midis.

C’est ce projet riche de questionnements sociétaux qu’Elise Trémeau a rejoint il y a deux ans, sur le poste de régisseuse générale. Et à noter, car ce n’est pas si courant dans les musiques actuelles, l’équipe technique permanente du Grand Mix est entièrement féminine. Elle est composée de deux femmes, Elise avec qui nous avons échangé plus amplement et Juliette Dupont sa collègue, régisseuse principale. Il faut dire aussi qu’elle a à sa tête une directrice !

Entretien avec Elise Tremeau

Elise, qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir régisseuse générale ? 

Bonne question ! En fait, quand j’étais plus jeune, j’aimais aller en concert, en festival. Et dans les festivals, ce que j’aimais regarder, c’était les changements de plateaux, les gestes des équipes techniques en fait. J’étais assez impressionnée de voir cette espèce de fourmilière qui s’agite méthodiquement entre deux groupes. Et puis assez vite, j’ai fait un peu de bénévolat sur les festivals d’abord en accueil artistes, puis au bar, les missions classiques des bénévoles ! Et en même temps, c’était quand même toujours la même chose qui me fascinait : observer les montages, les équipes techniques qui se relaient, chacun à son poste, précis sur sa fonction. Tout ça m’intéressait et m’impressionnait même plus que la partie artistique. C’est par ce biais-là que j’ai découvert les métiers techniques, parce que plus petite, je n’ai pas baigné dans le milieu culturel ou les concerts. C’est donc un peu sur le tard que j’ai pris conscience qu’il existait tous ces métiers dits de l’ombre ou de l’envers du décors.

 J’ai toujours bien aimé regarder travailler les mecs en régie, enfin les mecs ou les filles d’ailleurs ! Mais à l’époque c’était beaucoup plus compliqué de voir des filles derrière les consoles !

Ça a démarré réellement autour du lycée en fait, les premiers concerts dans les bars, puis les copains qui jouaient dans des groupes que j’allais voir dans des cafés-concerts. Puis après les festivals d’été. Ce qui était chouette aussi pour moi, c’était d’observer des petites équipes techniques et des très « grosses » sur les festivals, de regarder comment elles fonctionnaient selon les tailles des évènements. C’est vraiment ça qui m’intéressait, regarder les techniciens bidouiller leurs consoles, essayer de comprendre ce qu’ils faisaient, j’adorais regardais les changements de plateaux !


Comment es-tu passé de cette curiosité d’adolescente pour les métiers techniques du spectacle au choix d’en faire un parcours professionnel ? 

En fait, j’ai pas mal tergiversé avant d’arriver sur cette voie. Avant d’avoir le bac, j’ai travaillé un peu. J’ai arrêté le lycée et j’ai travaillé en restauration. Je faisais de la cuisine. Et c’est à ce moment-là justement, qu’a commencé à germer cette envie de réfléchir plus sérieusement aux métiers techniques du spectacle comme une possible voie professionnelle. Ça m’a poussée à retourner sur les bancs du lycée pour avoir le bac et pour pouvoir ensuite poursuivre mes études dans ce domaine-là. Suite au bac, j’ai donc fait une licence de technique audiovisuelle à l’université de Valenciennes, plutôt orientée image d’ailleurs ! C’était aussi le moyen abordable économiquement d’arriver quand même à mes fins et d’aller vers la technique. Dans la continuité de cette licence, j’ai poursuivi par le master « management de la communication audiovisuelle » qui débouchait surtout sur de la production cinéma ou télé. Mais ça m’a permis quand même d’aborder des sujets tels que les budgets, le droit du travail, la gestion des ressources humaines, des choses qui me servent aussi dans mes fonctions actuelles finalement !

Comment as-tu pu raccrocher avec le secteur des musiques actuelles ? 

Durant cette formation, nous devions effectuer différents stages que j’ai fait dans le spectacle vivant via des « boîtes de prestation techniques » donc parfois sur des concerts, mais plutôt dans des salles généralistes qui programment un peu de tout. En sortant de mes études, j’ai tout d’abord travaillé pour des studios de tournage parce que c’est ce qui était dans mes cordes à ce moment-là et ce que je savais faire. C’était l’opportunité directe d’emploi par rapport à ma formation. Mais suite à ces premières expériences je suis partie travailler dans une petite salle près de Rouen qui s’appelle la Maison de l’université. C’est une salle qui programme grosso modo deux dates par semaine, l’une de ces deux dates est souvent un concert, l’autre est davantage axée théâtre,  troupes d’impro, compagnies amateures, des choses comme ça. Mais voilà, une fois par semaine, il y avait un concert !

Ensuite je suis repartie dans le nord pour travailler à la Condition Publique à Roubaix qui n’est pas une scène de musiques actuelles (SMAC) mais qui programme quand même des concerts très régulièrement. Il y a un club avec un concert tous les vendredis, il y a une grande salle où l’on pouvait accueillir tant un séminaire d’entreprise que des musiques actuelles ou un festival électro. Et c’est pendant mon poste à la Condition Publique que j’ai eu connaissance de l’offre d’emploi de régisseuse générale du Grand Mix. Là je me dis, j’ai fait de la technique pour la musique, j’ai fait de la régie principale ou générale pour des salles plus généralistes, mais ce qui me permet de raccrocher, vraiment avec les musiques actuelles, c’est quand même de travailler dans une SMAC. Et j’ai postulé !   

Enfant, tu faisais de la musique ? 

Pas du tout ! Enfin, comme tout le monde, je pense. Adolescente, j’ai fait un peu de guitare mais jamais de cours de musique ou de solfège. Pas de pratique musicale correcte, on va dire, pas d’apprentissage de la musique étant enfant. C’est vraiment quelque chose qui est assez éloigné de ma famille à vrai dire, même si à l’adolescence, avec les copains, j’ai fait un petit peu de « gratouille », de guitare, mais jamais rien de très poussé. Ce qui m’intéressait vraiment plus c’était toujours l’aspect technique. Le groupe de copains qui voulait s’enregistrer pour faire une maquette et démarcher des salles pour jouer un petit peu et bien ce qui me plaisait, c’était de sortir des micros puis de les aider à faire leur maquette, plus que de prendre une guitare et de jouer ! 

 

Au sortir de ta période de formation, quand tu as commencé à travailler dans la technique, as-tu eu l’impression d’avoir trouvé ta place, d’être à l’endroit professionnel qui devait être le tien ? 

C’est plus nuancé que ça en fait, ça s’est fait progressivement en fonction de mes différentes expériences. Par exemple, je suis passée par des boîtes de prestation, des « grosses boîtes » où l’on arrive le matin dans un champ, il n’y a rien, on monte tout, la scène, les ponts, les pieds de levage, la lumière, le son, on cale le système, puis quand on repart il y a de nouveau rien, juste le champ comme à l’arrivée, mais entre deux,  il y a eu un gros concert avec des milliers de personnes ravies. Après, le travail en « boîtes de presta », c’est un monde particulier il y a la longueur des journées, les conditions de travail selon les employeurs qui sont très variables aussi. Et puis au Colisée à Roubaix, j’ai découvert ce côté un peu « grosse maison », « famille », habitudes de travail bien huilées. Et j’ai fait aussi quelques stages plutôt en scènes nationales ou dans un studio d’enregistrement. Ces différentes expériences m’ont permis de me rendre compte qu’il n’y avait pas une seule façon de travailler, qu’il y avait autant de façons de faire que de lieux où travailler ou encore d’employeurs. C’est aussi ça qui m’a permis d’affiner mes envies. J’ai compris que non, je n’avais pas spécialement envie de faire du mixage ni de décharger des camions toute la journée. Par contre participer à ce que les différents engrenages d’une salle, d’un concert s’articulent bien entre eux, à ce que tout s’enchaîne bien, que techniquement ça marche, se creuser un peu la tête pour trouver des solutions techniques, se dire « en fait en fiche technique on veut ça, mais nous ce qu’on a c’est plutôt ça » et trouver les moyens que ça le fasse quand même, ça j’en ai eu très vite envie. Même les prises de tête en termes d’horaires, ça m’intéressait. De me dire « ils veulent arriver à telle heure, mais après ça fait une journée trop longue, alors on va plutôt leur proposer de venir la veille, etc. » des choses à démêler, à négocier, à imaginer. Plus ça allait au niveau des stages et même après dans mes premiers postes, plus je me rendais compte que c’était cette partie du travail qui me motivait réellement. C’était vraiment plus la régie générale qui m’intéressait ! Donc non, je n’ai pas eu d’Épiphanie à me dire “Ah c’est ça, c’est régisseuse générale que je veux être”, mais c’est venu plus progressivement, au fur et à mesure et dans mes différents postes.  Il y a évidemment des missions que tu préfères toujours à d’autres et il y a des sujets qui t’intéressent plus que d’autres, mais la régie générale, ça m’a bien plu et la régie générale d’un lieu, plus que la régie de tournée. 

Ce qui me plait et m’intéresse vraiment c’est de participer à la vie d’un lieu, de faire partie d’une équipe. C’est quelque chose qui me correspond en fait, qui me convient bien. 

Comment tu présenterais ta journée type le jour d’un concert au Grand Mix ? 

Ma journée de concert type se mêle complètement à celle des technicien·nes lumière, des technicien·nes son. Il y a la phase de la préparation avant la date de concert, il faut constituer les équipes techniques, faire leur planning, prendre contact avec la personne chargée de la production, le tourneur et/ou le tour manager du groupe. Je vais recevoir leurs infos et les besoins techniques pour le concert, je vais envoyer les infos techniques de la salle et voir comment faire matcher les deux. Parce que finalement c’est ça le plus gros du boulot quand on fait une date : c’est s’assurer que les besoins du groupe, les capacités en matériel de la salle et en termes humains vont matcher. Je dois trouver les bonnes adaptations quand ça ne correspond pas tout à fait, évaluer les besoins, louer du matériel si nécessaire. En fait, c’est vraiment cet aspect de préparation qui est l’essentiel de mon travail et ce qui me prend le plus de temps d’ailleurs au quotidien. Et ce n’est pas forcément pareil ailleurs, mais au Grand Mix la régie générale a aussi en charge une partie des tâches de production, les conditions d’accueil artistes. La partie accueil artiste du rider (les hôtels, les runs, les demandes en loges…) est aussi traitée par la régie générale, en plus de la partie technique bien sûr ! J’établis donc les feuilles de route avec les horaires de la journée pour tout le monde, avec les informations pour les artistes mais aussi pour les intermittents qui travaillent sur la date. Je leur partage l’ensemble des informations, s’il y a une console amenée par le groupe, les besoins en backline, s’il est loué, à quel endroit, je transmets le plan de feu, la fiche technique des groupes… Ça c’est la partie préparation, la « prép » comme on dit ! Et puis arrive le jour de la date. Le matin, j’arrive avant tout le monde, j’accueille l’équipe lumière, je leur fais un topo sur ce qu’il y a à faire. Parfois, je leur donne un coup de main s’il y a besoin de plus de bras ce jour-là. Pendant que les régisseurs lumière travaillent, la plupart du temps, on fait des petites missions annexes. Plutôt accueil artistes, accueil public. On s’assure que le ménage est bien passé aux différents endroits, qu’il y a bien du papier dans les toilettes. On prépare les petits bracelets. On affiche les feuilles de route avec les horaires un peu partout. Comme on essaie de réduire nos déchets, on a des petites gourdes à préparer. C’est un peu les « petites » missions annexes de la régisseuse de la date. Après ça, on mange avec l’équipe lumière et puis l’équipe son arrive et là, la régisseuse générale devient régisseuse plateau au Grand Mix, comme dans pas mal de salles, il me semble ! Je prépare le petit matériel son, le patch, les pieds de micro, les câbles, on fait le patch, on se met d’accord avec les technicien·nes son du jour sur « qui fait quoi », comment on va opérer le changement de plateau. Est-ce que c’est un patch commun ? Est-ce qu’il y a des risers à faire ? A quelle hauteur il faut monter dans le pratos ? On prépare notre plateau et après on rechange quelquefois de casquette dans l’après-midi. Forcément, on va faire l’accueil du groupe donc je les fais monter en loge, leur explique comment ça fonctionne pour le catering, les repas. Et puis on bascule de nouveau sur du plateau quand le groupe s’y installe. Pendant la balance du groupe, souvent, c’est la première partie ou le groupe support qui arrive. On organise ensuite le changement de plateau, on refait le même petit topo pour le support, on le guide dans le bâtiment, on vérifie que tout le monde a les bons horaires, etc. Sur l’après-midi notre boulot, c’est un mix entre régie plateau et régie générale. Parfois, il y a beaucoup de travail au plateau et pas grand-chose à faire en accueil. Parfois c’est plutôt l’inverse. On peut avoir des tour managers qui nous demandent énormément de choses. Il faut régler les petites demandes de dernière minute : « Je t’ai pas dit ? On a un régime alimentaire particulier. Ha mince, j’ai oublié mes baguettes, … », c’est notre boulot à ce moment-là, de répondre aux demandes en régie. Après ça, on va manger et les portes s’ouvrent ! On va chercher les groupes en loge, on fait monter les groupes à l’heure, puis on opère le changement de plateau. Et puis voilà, fin de concert, on fait le démontage avec l’équipe technique. On a toujours un petit œil sur la montre, voir si on est dans les temps, on presse un peu le groupe pour démonter, pour que le plateau soit libéré afin que la lumière puisse faire aussi son démontage, etc. C’est un peu comme dans l’après-midi, on essaie de tenir le timing ! On est toujours en lien aussi avec le chef soirée et le coordinateur sécurité. En cas de pépin quelconque, on participe aussi au dispositif de sécurité. Fin de soirée, on finit le démontage, on aide à recharger le groupe et le lendemain on recommence !

On ne connaît pas la vie des gens, mais quand ils et elles viennent au concert et repartent ravi·es, je trouve ça chouette, un concert ça peut être un moment important dans ta vie !

Tu as d’autres missions sur ton poste au-delà de la partie régie concert que tu viens de nous décrire ?

Oui il y a aussi la partie bâtiment, sécurité, vérification des installations. C’est moi la personne ressource pour l’équipe quand il y a quelque chose à signaler, à réparer. Je vais gérer la maintenance générale, la maintenance technique, la maintenance scénique et la maintenance bâtimentaire. C’est changer une ampoule, réparer une chasse d’eau, faire réparer le chauffage qui ne marche plus, trouver la bonne solution, appeler le prestataire, le relancer, commander la pièce qui va bien, etc… 

 

Qu’est-ce qui t’enthousiasme particulièrement dans ton métier ? 

Ça peut sembler bizarre, mais j’aime bien quand il y a des imprévus, pas trop bien sûr, mais j’aime bien quand il y a des petits couacs, des situations à régler dans la journée, qu’on court un petit peu. Mais attention, j’aime bien aussi quand tout se passe comme prévu, mais je trouve ça gratifiant quand durant la journée on arrive à dépatouiller des petits problèmes, des petites choses et qu’au final, le soir c’est réglé, rien n’est perceptible ! Tout le monde passe une super soirée, ça joue. À la limite, on dépasse le timing, mais parce que le groupe a décidé de faire un long rappel et tout le monde est content. Et à la fin, le public s’en va ravi. Le groupe s’en va heureux aussi. En fait, c’est ça qui me plaît. Le fait de participer à ce que tout le monde passe une bonne soirée !  C’est quand même un boulot sympa ! On a cette grande chance que personne ne joue sa vie grosso modo quand même, et le public vient dans le but de passer un bon moment. Donc, quand on remplit cette mission-là, le groupe a bien joué, dans des bonnes conditions parce qu’on l’a accueilli correctement, le public repart avec sa dose de bonne humeur, c’est ça qui est important pour moi !

Si en fin de soirée je peux me dire ok on a eu quelques urgences ou pépins à régler dans la journée. Et puis finalement la soirée s’est super bien passé et tout le monde est trop content et bien je trouve ça gratifiant !

Par tes fonctions au Grand Mix, tu encadres essentiellement des hommes ? Comment vis-tu ce lien hiérarchique ? Comment tu habites cette partie de ta fonction ?  

Au Grand Mix c’est un peu particulier parce qu’il y a un noyau d’intermittents qui vient régulièrement et depuis très longtemps. Ce sont des personnes qui connaissent le Grand Mix comme leur poche et qui techniquement, sont très bonnes. Donc moi en prenant mes fonctions au Grand Mix, je suis restée assez humble par rapport à ça, aussi parce que je suis assez jeune,  peu d’expérience en régie générale et pas d’expérience en SMAC. J’ai pris le truc avec humilité et je me suis positionnée avec eux comme quelqu’un d’apprenant. A la fois, c’était vraiment génial parce que c’est un grand confort, j’avais l’impression d’avoir un parachute. C’était super d’avoir ces personnes-là qui connaissent extrêmement bien la maison, extrêmement bien leur métier et aussi les us et coutumes du monde des musiques actuelles. Ces personnes font de la tournée par ailleurs. Je suis super reconnaissante de ça. Et, outre ce « noyau dur » d’intermittents habitué·es qui sont en fait une petite dizaine, sept ou huit, et qui viennent très régulièrement, il y a toute une équipe un peu plus importante d’intermittents qu’on appelle régulièrement, qui viennent grossir les rangs quand nos habitués sont parfois en tournée avec des groupes, etc. Donc on vient les remplacer ponctuellement par d’autres, qui sont en région également, et qui travaillent très bien aussi ! Mon rapport à ces équipes d’intermittents, franchement il est assez horizontal à vrai dire. Oui il y a un lien hiérarchique, de fait c’est moi qui constitue les équipes, qui leur donne les consignes, ce qu’il y a à faire et à quelle heure ils doivent avoir terminé, etc. Mais en même temps, je considère qu’on a des missions différentes et que je ne suis pas juste leur cheffe. C’est un peu différent avec ma collègue Juliette qui est régisseuse principale et permanente de la structure. De fait, je suis sa supérieure hiérarchique, mais au quotidien nous sommes sur un partage des tâches, des dates. Comme avec les intermittents, la relation professionnelle est davantage horizontale. Ils savent très bien ce qu’ils ont à faire, mais je prends quand même à cœur d’animer cette équipe et de les intégrer le plus possible à l’équipe permanente du Grand Mix, de les faire participer aux choix techniques que je fais, leur avis est super précieux ! Je ne ressens pas un lien hiérarchique à proprement parler, on n’a pas les mêmes missions, on se complète ! 

Tu parles des intermittents au masculin, ce sont majoritairement des hommes ?

Oui très majoritairement des hommes. À vrai dire, c’est assez rare qu’on embauche des intermittentes. Avant mon arrivée au Grand Mix, l’équipe d’intermittents réguliers était composée d’hommes. Ils font à peu près 4 dates sur 5 au Grand Mix. Il y a donc peu de latitude pour embaucher d’autres personnes. Il y a aussi ceux qui historiquement travaillent régulièrement au Grand Mix et qui me sont précieux, que je ne veux pas perdre parce qu’ils sont autonomes sur l’équipement. En fait, c’est un peu une question de facilité pour moi, évidemment ! Ils savent comment fonctionne les consoles, les amplis, le câblage entre les 2, les us et coutumes de la salle, les horaires, … Alors oui, c’est plus facile pour moi d’appeler ces personnes, et oui ce sont des hommes ! En tout, entre “l’équipe A” (les intermittents les plus réguliers) et “l’équipe B” (les intermittents qui viennent en renfort, un peu moins souvent), c’est une trentaine de personnes et très majoritairement des hommes. Par ailleurs, j’ai quelques contacts de femmes qui travaillent ici en région et qui travaillent bien ! Le métier de ces femmes, c’est plutôt techniciennes plateau. Mais technicienne plateau, c’est le poste qu’on occupe, Juliette et moi, sur les dates, en plus de la régie… c’est donc un besoin que nous n’avons pas au Grand Mix, en termes d’embauche complémentaire. De temps en temps, on a un besoin ponctuel sur une date où on va avoir par exemple 4 groupes qui s’enchaînent, on sait que sur cette date-là, on ne pourra pas assurer le plateau et l’accueil-régie. Dans ce cas-là on embauche au plateau et si on a de la chance, une technicienne disponible ce jour-là !

Il y a 10 ou 15 ans le peu de demandes de stage de jeunes filles et de jeune femmes qu’on recevait, c’était plutôt côté prod ou côté lumière. En son c’était rare, très rare. Mais, ça évolue ! 

En dehors des personnes qui sont déjà dans le circuit professionnel de la technique, est-ce que tu accueilles et accompagnes des personnes et notamment des jeunes femmes, qui souhaitent découvrir ces métiers, s’y insérer ? 

Quand j’étais étudiante, il y a 10-15 ans, quand il y avait des stagiaires en même temps que moi, c’était quasiment toujours des garçons. Ça ne m’est jamais arrivée d’être stagiaire en même temps qu’une autre femme stagiaire. Après, dans mes premiers postes, je recevais surtout des CV de garçons qui demandaient des stages ou des alternances et quelques filles très peu, mais quelques filles quand même. Au Grand Mix, la porte est assez ouverte aux stagiaires. C’est quelque chose que Juliette et moi, à titre personnel, on défend. On ouvre volontiers cette porte, quand la période s’y prête évidemment ! En stage de découverte pour les élèves en classe de troisième par exemple, on reçoit plus de demandes de filles que de garçons qui veulent faire de la technique ou du son. Chose qui était plus rare il y a 10 ans ! Cette année, on a dû prendre 3 jeunes filles en stage de 3ème qui voulaient être ingénieures du son. C’est régulier maintenant. Par contre pour les stages plus longs de 2 ou 3 mois, de BTS technique du son ou de cursus similaires, les demandes d’alternance en son, là ça reste encore très majoritairement des garçons. Mais c’est important et essentiel de laisser les portes ouvertes aux plus jeunes, dès la découverte d’un environnement professionnel, de participer à une possible féminisation des métiers techniques par ce biais. C’est là que ça se joue aussi ! Dans la région, les techniciennes, déjà intermittentes, n’ont pas besoin du Grand Mix pour travailler. Elles travaillent, leur réseau, leur réputation est faite, les structures savent qu’elles travaillent comme n’importe quel intermittent, voire même mieux et plus, puisqu’il y a un mouvement de soutien à la féminisation des équipes techniques qu’on observe en ce moment. Par contre, le défi pour les plus jeunes, c’est qu’il faut créer de la vocation pour qu’elles aient envie de mettre les mains dans les consoles, et ne pas faire non plus que du plateau, qu’elles se sentent légitimes à faire un calage système et/ou à faire des études poussées pour devenir ingénieure système, par exemple. On se sent plus utile à prendre des stagiaires de 3ème, à leur parler de ces métiers et peut-être contribuer à les décomplexer aussi, parce qu’il y a plein de métiers dont elles n’ont pas forcément entendu parler, qu’elles n’imaginent même pas ! Nous avons à cœur nous d’ouvrir ce champ des possibles, d’y participer !

On a à cœur de modifier la perception des métiers techniques chez les jeunes filles, les jeunes femmes, de leur donner envie de continuer, de se former, de ne pas lâcher le son. C’est à cet endroit qu’on se sent utiles, qu’on voit notre impact.

Cette année en stage long, c’est une jeune femme qu’on a choisie. Nous ne l’avons pas recrutée dans l’optique, forcément, de prendre une fille, en fait, on a publié notre annonce, on a reçu des candidat·es, des filles et des garçons et il se trouve que le profil qui nous a le plus intéressé et qui nous a semblé le plus cohérent par rapport à notre fonctionnement, c’était celui de cette jeune femme. D’ailleurs, pour cette proposition de stage long, nous avons reçu plus de candidatures de jeunes femmes que de jeunes hommes, certainement parce qu’on proposait sur un même poste, une partie prod et une partie technique !  


Et dans la relation avec l’environnement des groupes qui viennent jouer au Grand Mix, le fait que sois une femme régisseuse générale de cette salle, comment cela est perçu ?

Dans mes premiers boulots en régie générale, j’étais quand même assez jeune, et donc je cumulais femme et jeune. C’était parfois difficile et difficilement admis. En termes de posture, il fallait que j’y aille parfois au forcing pour qu’en face, on comprenne que c’était moi qui avais la responsabilité de certaines décisions et que non, je n’avais pas besoin d’appeler mon collègue de dix ans de plus, qui était un homme parce que ça semblait naturel que ce soit lui qui valide, qui décide. Mais ça évolue, tant pour moi que plus globalement ! Désormais on accueille plein de femmes tour manageuses, qui ont un âge similaire au mien, voire plus jeunes ! Et en fait, c’est OK, c’est admis pour tout le monde. Ça ne rentre plus tellement en ligne de compte maintenant dans mes accueils, j’ai l’impression que femme ou homme, les gens se comportent pareil avec moi ! Et moi de la même façon, avec les personnes que j’accueille. Quand je travaillais à Rouen ou à la Condition Publique, on voyait plus d’hommes accompagner les groupes. Maintenant, je vois facilement des femmes, même très fréquemment des femmes qui accompagnent les groupes. J’ai l’impression que ça a bougé, peut-être sur les cinq dernières années. Avant, dès le moment de la préparation du concert, j’avais surtout affaire à des hommes. C’était vrai aussi en théâtre. 

Mais il y a aussi une question de génération. On se rend compte parfois que certains sont encore un peu à l’ancienne dans leur façon de réfléchir, quand les personnes en prod, en tour manageur sont plus âgées, on voit que certains n’ ont pas fait la bascule en même temps que tout le monde !

Le tour manageur est une tour manageuse, ça c’est beaucoup plus courant maintenant ! 

Dans l’idéal, comment imagines-tu ton futur professionnel ? 

Déjà je me vois bien rester au Grand Mix quelques années encore ! Je trouve que c’est un endroit où il fait bon travailler et je suis assez attachée au projet, assez convaincue de comment on travaille ici, avec ce que ça implique au niveau social, en termes d’accompagnement des personnes, avec cette conscience des enjeux sociaux qui traversent les musiques actuelles,  l’égalité femmes-hommes, les enjeux écologiques….

J’ai bien conscience qu’on n’est plus dans une période où on fait toute sa carrière au même endroit, mais là, de suite, ce que j’aimerais c’est évoluer au sein du Grand Mix. Me conforter dans des choses que j’ai apprises un peu sur le tas. Et plus tard, pourquoi pas envisager un poste similaire dans d’autres endroits, peut-être à d’autres échelles. Et encore, je ne suis même pas sûre parce que j’aime la taille humaine du Grand Mix, j’apprécie aussi la jauge de public, la façon de travailler, la taille de l’équipe aussi. Pour l’instant, dans les quelques années à venir, mon avenir, je le vois bien au Grand Mix !

Quels conseils donnerais-tu à une jeune femme qui souhaite devenir régisseuse général ?

Et bien je lui conseillerais de se faire confiance et d’oser prendre le job. Déjà parce qu’il y a, je trouve, un peu d’autocensure parfois. Il y a beaucoup de femmes qui se sentent légitimes à faire de la production mais pas de la régie alors que les compétences techniques, elles s’acquièrent, ça s’apprend. Il existe des formations, comme pour tous les métiers. Il s’agit de ne pas s’autocensurer, parce que l’humilité c’est bien, mais il ne faut pas que ça tétanise, que ça freine. Parfois tu peux aussi t’enfermer dans une posture où tu te dis que les autres sont meilleurs que toi, ou que les hommes sont meilleurs que toi sur certaines choses alors que pas du tout en fait. Si tu te sens moins bon que quelqu’un pour faire quelque chose et bien tu peux apprendre.

C’est peut-être juste ça, oser prendre le job en fait, et pas attendre qu’on te valide.

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