Le Power Camp du Quai M : un espace de rencontre, de sororité et de création musicale pour les femmes et les minorités de genres
Si vous vivez à la Roche-sur-Yon, si vous y étiez de passage ou en vacances durant la première semaine caniculaire de juillet 2023, vous avez obligatoirement ressenti la fraîcheur et l’énergie du premier Power Camp imaginé par Quai M. Dernier né des « girls rock camp » de l’hexagone, le Power Camp a réuni 8 musiciennes pour vivre intensément, le temps d’une semaine, cet espace d’adelphité, de création musicale en mixité choisie, de rencontre et de moment de vie entre femmes et personnes minorisées de par leur genre. C’est avec Estelle Marie, responsable de l’action culturelle de la structure, qui a concocté ce projet que nous découvrons la recette du Power Camp un peu plus d’un mois avant son lancement !
Mais juste avant de plonger dans cette aventure, petit détour par la Roche-sur-Yon, sa gare SNCF et de l’autre côté des rails, ce nouveau venu dans les bâtiments du quartier : Quai M
Longtemps en termes de musiques actuelles, la Roche-sur-Yon a rimé avec Fuzz’Yon ! Plus de 35 ans à vrai dire ! Cette salle de concert « légende locale », gérée par une association du même nom a laissé sa place pour la construction d’un nouvel et magnifique équipement, Quai M, imaginé par l’architecte Chloé Bodart. Quai M a ouvert ses portes en 2022, mais l’association, ses missions et son équipe sont toujours là, garantes d’un savoir-faire et d’un état d’esprit ! Vous y retrouverez une grande diversité d’expressions des musiques actuelles, des espaces de rencontres, de pratiques musicales, des studios de répétition, des projets d’action et de médiation culturelle… N’hésitez plus, allez rencontrer ce nouveau venu dans le paysage musical ! Quai M sera un lieu de passerelles. « Passerelle entre la musique et les publics, ouvert à tout·es, répondant aux nouvelles pratiques et attentes en matière de médiation. Le Quai M doit servir de passerelle entre la mémoire et le futur des musiques sur le territoire. » (Extrait du projet culturel et artistique 2022 – 2025 de l’association Fuzz’Yon / Quai M)
Entretien avec Estelle Marie
De quelles utopies, de quels désirs est né le Power Camp ?
Personnellement, j’avais déjà vécu l’expérience et les bienfaits de la non-mixité ou mixité choisie. C’est un sujet qui m’intéresse énormément. Et depuis deux ans, certaines scènes de musiques actuelles ont initié des Girls rock camp, des Summer camp, des séjours de création musicale en mixité choisie, etc. Cela m’a inspiré et je me suis dit que c’était possible et que c’était aussi à nous, au Quai M, de se saisir de ces enjeux et d’imaginer un projet. Cela m’a aussi donné l’opportunité de dire à mes collègues « Regardez, d’autres salles de concert le font, on peut le faire aussi ! Et en plus ce type de projet peut être soutenu et subventionné par différents partenaires !». L’envie d’expérimenter un espace, un projet en mixité choisie, me titillait depuis deux ans en fait, mais au sein de la structure, nous étions en pleine transition entre l’ancien Fuzz’Yon et le nouveau Quai M et nous n’avions pas la pleine disponibilité pour construire et mener un tel projet. Mais cette année, on se lance ! Pour moi c’est une fierté d’avoir réussi à monter ce projet et que Quai M soit identifié aussi au sein du département et plus largement sur ces questions. Nous faisons énormément d’actions en médiation pour tous les publics et souvent quand je parle de mixité choisie ou de non-mixité, j’ai un peu peur que ça bloque et qu’il y ait des petits rouages qui ne se mettent pas en marche face à ce principe de non mixité. En fait j’explique qu’en médiation on fait souvent des ateliers pour des publics spécifiques : quand un atelier est destiné à des enfants et bien il n’y a pas adultes qui y participent. Quand je propose un atelier pour des personnes qui ne parlent pas français, il n’y aura pas de francophone dans cet atelier. Et bien là c’est pareil, c’est un atelier pour les femmes musiciennes et les personnes en minorités de genre, il n’y aura donc pas d’hommes cis dans ce projet, tout simplement.
Ce n’est pas des gros mots de dire non-mixité, mixité choisie, cis, non-binarité…
C’est important aussi, en tant que structure identifiée sur le territoire, encore plus maintenant avec notre magnifique nouveau bâtiment, que Quai M montre que la mixité choisie est essentiel, surtout dans des processus de création ! Et le mot utopie du début de notre échange, je le relierai avec celui d’ambition. Une ambition pour le projet du Quai M. Ce que j’espère avec le Power Camp, c’est que dans les années à venir, Quai M soit identifié par les musiciens et les musiciennes du territoire comme un endroit qui leur est totalement ouvert et qui les soutient quel que soit leur genre et qu’en plus, on s’attache à faire en sorte de casser toutes les barrières symboliques qui peuvent exister dans le parcours d’un·e musicien·ne !
Quelles sont les forces vives qui sont parties prenantes de ce projet ?
La phase de construction du Power Camp a surtout été menée par moi avec ma collègue, Nora Wende, administratrice de la structure et Léa Couillard en stage actuellement sur l’action culturelle. Bien sûr, nous avons eu le soutien de la direction et de toute l’équipe de production, parce la partie logistique de ce type de projet, hébergement, restauration, matériel… est très importante en fait. Ce qui est super avec le Power Camp, c’est que tou·tes mes collègues mettent un petit peu la main à la pâte, pour la communication, la restauration, la production, etc. Et ce qui est intéressant aussi, c’est que toute l’équipe se retrouve à défendre ce projet et ce principe de mixité choisie qui n’est pas forcément toujours entendu et compris simplement, surtout dans certains territoires. Mais chacun·e à son endroit, mes collègues se sont approprié·es le projet et en deviennent autant de relais !
D’emblée aussi, nous avons recherché des techniciennes son et lumière pour le concert de la fin de la semaine afin de valoriser aussi la part des femmes sur ces métiers occupés très majoritairement par des hommes.
Pour le choix des intervenantes, j’avais entendu parler de Beats by Girls via, entre autres, les webinaires ou les réunions qu’il y a eu avec la FEDELIMA sur la non-mixité et les Girls camp et mes réseaux de militance personnelle. J’avais vu que ça émanait d’une initiative internationale et qu’une « branche française » commençait à se développer il y a à peu près deux ans. Elles font des super ateliers en non-mixité autour de la production musicale, de la musique assistée par ordinateur (MAO). Dès le début des réflexions, je me suis dit que ce serait génial et essentiel de proposer ce type d’atelier sur le Power Camp pour déconstruire les stéréotypes, casser les biais de genre liés aux outils de production sonore, aux outils technologiques de la musique, permettre aux musiciennes d’expérimenter, de s’approprier ces instruments-là ! Et donc Sarah Perez et Alexia Charoud, investies sur la partie française de Beats By Girls, animeront ce type d’ateliers sur le Power Camp.
À partir du moment où on touche à des outils, on va dire, de musique électronique, on a l’impression que c’est beaucoup moins ouvert pour les femmes et un peu plus chasse gardée pour les hommes parce que c’est plus technique !
Je connaissais également Salut les Ziquettes!, des musiciennes qui animent depuis plusieurs années des ateliers de musique et d’empowerment destinés aux femmes cis et trans et personnes non-binaires. Je suis dans des milieux militants similaires avec Salut les Ziquettes!, j’avais donc eu l’occasion d’en croiser certaines et nous sommes ensuite rentrées en contact par rapport au Power Camp. Elles nous ont redirigé vers le label rennais Cartelle, à qui elles ont transmis leur expérience de ces ateliers en mixité choisie et qui ont déjà mené des ateliers similaires au Jardin Moderne à Rennes, entre autres. J’adore aussi cette adelphité entre musiciennes – intervenantes !! Ce sont donc des musiciennes de Cartelle, sous la bannière Cartelle X Salut les Ziquettes, qui interviendront sur les ateliers de création musicale. Leurs valeurs, leur façon de faire font pleinement écho à celles qu’on veut insuffler avec le Power Camp : tout le monde peut jouer de la musique, créer, monter sur scène en collectif ! Avec Cartelle X Salut les Ziquettes, on est dans un style de musique où on branche la guitare, on apprend trois accords et Let’s Go ! Dans 4 jours on monte sur scène avec un groupe, même si au début de la semaine on ne se considérait pas comme musicienne. Et ce côté, qui peut paraître très punk, est aussi un moyen de se réapproprier des codes masculins des musiques amplifiées, de briser la dévalorisation intégrée par beaucoup de musiciennes.
Quand on est un mec et qu’on fait un peu à l’arrache, on est punk ; quand on est une meuf et qu’on fait un peu à l’arrache, on est dégueu et on fait mal les choses ! Alors c’est important de casser ces stéréotypes et de se réapproprier les codes
Et puis ce qui m’anime sur ce type d’expérience en mixité choisie, c’est qu’on ne se sent pas jugées par l’extérieur. On crée vraiment un cadre bienveillant, on est ensemble et à l’écoute de chacune et même s’il y a des disparités de pratique musicale entre musiciennes, ce n’est pas non plus un frein, une opposition, une concurrence entre les personnes. Ça va plutôt être le moteur pour s’entraider, se soutenir et se pousser à faire des choses, à créer ensemble. Le but ce n’est pas d’enregistrer un album et de faire une tournée mondiale ! C’est vraiment d’avoir un moment de création en non-mixité et en équité !
Quand on pose la question « est-ce que tu fais de la musique ? » à une personne qui n’est pas un homme cisgenre, la réponse est souvent « non, j’en fais pas… enfin j’ai fait 5 ans de piano, je chante de temps en temps à la maison, puis j’ai fait un petit peu de guitare il y a 3 ans… Oui, donc tu fais de la musique ! Il faut briser cette dévalorisation que beaucoup de femmes ont intégrée !
Et puis il y aura également une intervenante en sérigraphie, Margot Burki qui ne vit pas très loin , à Clisson. Elle, je l’ai rencontrée via des ateliers que j’avais organisés pour d’autres publics, avec des maisons de quartier, des jeunes accompagné·es par la protection judiciaire de la jeunesse… Et au fil de nos échanges, nous nous sommes rendu compte que, toutes les deux, nous avions envie de vivre cette expérience de création en mixité choisie. Aussi quand je l’ai sollicitée, elle m’a directement répondu « ouiiii » pour s’engager dans cette aventure !
Enfin, par rapport aux soutiens des partenaires qui rendent possible ce Power Camp, il y a le Centre national de la musique via la commission égalité femmes – hommes. Il soutient le projet pour 60% du budget total. Les 40% restants viennent du budget dédié à l’action culturelle au Quai M, financé grâce aux subventions de l’Agglomération de la Roche-sur-Yon. Le Power Camp représente effectivement un engagement important du Quai M en termes d’action en faveur de l’égalité de genre, du soutien aux musiciennes sur le territoire, etc. Ce qui conforte aussi le positionnement de la structure sur la place de la médiation dans nos actions, qui est vraiment considérée comme un pilier aussi important que l’accompagnement, la création, la résidence et la diffusion… C’est une vraie chance d’avoir ces moyens et cet engagement de l’association pour construire et mener de tels projets !
Les inscriptions pour ce premier Power Camp du Quai M ont été ouvertes au printemps, quelles sont les personnes qui ont répondu ?
C’est simple, je ne connaissais aucune des personnes qui se sont inscrites, aucun projet musical affilié à ces personnes-là. Ça nous permet aussi d’identifier des musiciennes locales, des projets musicaux qui essaient de se créer sur le territoire, d’affiner notre connaissance de notre environnement musical et de faire identifier Quai M par d’autres personnes. En ça c’est déjà super intéressant ! Et ce qui m’a étonné aussi sur la phase de candidatures, c’est la disparité des profils des musiciennes. En fait, on a reçu des candidatures de personnes plus âgées que ce qu’on avait imaginé parce qu’on a aussi voulu partager que le Power Camp, ce séjour musical, n’était pas que pour les personnes entre 25 et 40 ans, et qu’on peut commencer la musique à 55 ans, on peut commencer un groupe de punks à 60 ans ! Rien n’empêche ça ! C’est aussi un frein qui est assez gigantesque, surtout chez les femmes et les personnes minorisées de par leur genre. Comme si, une fois passé un certain âge, on ne pouvait plus rien faire, on n’avait plus de valeur !
Ce qu’on veut montrer avec le Power Camp, c’est que quelles que soient la nature et l’ambition d’une pratique musicale, il ne doit pas y avoir de frein en fait. Rien de ne devrait empêcher l’expression artistique !
Qu’est-ce que tu as hâte de vivre avec ce Power camp ?
En fait, même si j’attends avec une grande impatience de voir ce qui va se passer, ce qui va se créer, comment cela va naître, se partager au sein des ateliers de création musicale, ce qui m’enthousiasme également, que j’ai hâte de vivre ce sont aussi les moments off, les moments du midi, du soir… Ce qu’on va partager en allant voir des concerts, en allant à la plage… tous ces moments un petit peu plus informels, où on se rencontre et on apprend à se connaître aussi. Et pour moi, ce sont ces moments d’adelphité que je recherche aussi particulièrement, parce qu’encore une fois, j’ai déjà eu l’occasion d’en ressentir les bénéfices que ça peut avoir, en tout cas sur une trajectoire personnelle, c’est précieux ! Et je me dis, que si on peut réussir à faire se connecter des personnes qui n’auraient pas pu se rencontrer sans ce projet, c’est magnifique !
Quelles figures féminines vous inspire ce projet ?
Pour cette dernière question, Léa Couillard, en stage en action culturelle au Quai M au printemps 2023, se joint à nous.
Estelle Marie : Le Power Camp représente pour moi le fait d’unir des forces pour devenir encore meilleur·es. Aussi, il me fait penser à un groupe qui s’appelle Boygenius. C’est un peu comme les super groupes avec les vieux rockers qui se mettent ensemble et qui font un super groupe ! Boygenius c’est un super groupe de trois musiciennes, artistes de folk : Phoebe Bridgers, Lucy Dacus et Julian Baker. En fait ces 3 artistes, que j’aime aussi énormément individuellement, font de la folk, un peu indie, et là elles ont décidé de former un super groupe. Et c’est magnifique, c’est incroyable et elles prônent énormément la sororité, l’adelphité, le fait de créer ensemble et c’est aussi ce qu’elles ont réussi à créer : une bulle artistique en dehors des codes qu’elles avaient en tant qu’artiste folk. Et ont créé ensemble quelque chose d’assez extraordinaire qui n’est pas la somme de leur 3 univers folk mais bien plus ! Le Power Camp, m’évoque des personnalités toutes exceptionnelles, qui vont se réunir pour créer quelque chose d’encore plus beau, ensemble. Ce qui n’enlève rien à leurs qualités personnelles. On ne va pas se fondre dans un groupe pour n’être plus qu’un énorme blob, chacune amène son individualité pour créer quelque chose de collectif d’encore plus puissant.
Léa Couillard : Je pense à Rose Lamy, c’est une autrice qui anime le compte Instagram Préparez-vous pour la bagarre et qui a également écrit l’ouvrage Défaire le discours sexiste dans les médias, préparez-vous pour la bagarre. C’est un peu ma référence en termes de veille médiatique et j’apprends beaucoup de son compte Instagram. Ça fait écho pour moi à un des objectifs du Power Camp qui est de déconstruire les freins rencontrés, les effets du sexisme structurel sur les femmes et les musiciennes.
En savoir plus sur le Power Camp du Quai M !
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