Le podcast Super jazz women : “women who never sound like anybody but themselves”
C’est dans l’univers du jazz que nous vous invitons pour cette Wah’actualité, à la découverte du podcast Super jazz women. Chloé Cailleton, chanteuse et professeure de chant et Guillaume Hazebrouck, pianiste, compositeur et fondateur de la compagnie Frasques sont à l’origine du projet, soutenu par le Petit Faucheux à Tours (37) par le biais de Mathieu Durieux, chargé de communication.
Initialement pensé sous la forme d’une conférence, le projet est aujourd’hui décliné sous la forme d’un podcast qui entend valoriser et visibiliser des artistes musiciennes qui font et ont fait l’histoire du jazz.
Entretien avec Guillaume Hazebrouck Chloé Cailleton et Mathieu Durieux
Tout d’abord pouvez-vous nous parler du projet Super jazz women ? Comment est-il né ?
Guillaume Hazebrouck (GH) : Pour ma part, ça fait un moment que je suis sollicité pour faire des interventions sur l’histoire du jazz or celle-ci est toujours racontée de la même manière. D’une part, ça peut être un peu lassant et surtout, cette histoire ne rend pas justice à la diversité du jazz puisqu’en racontant son histoire à travers les grandes figures – masculines la plupart du temps – sont mises de côté de nombreuses démarches parallèles, plus souterraines pourtant très fécondes dans la création musicale contemporaine. Par ailleurs, je suis également un grand fan de Carla Bley, Gery Allen ou encore Mary Lou Williams, dont j’écoute la musique depuis longtemps, ça m’a donc paru évident de parler de ces grandes musiciennes dans l’histoire du jazz.
Chloé Cailleton (CC) : Pour moi, ce projet a plutôt été un retour sur ma propre expérience dans le milieu du jazz. Il y a quelque temps, j’ai écrit un mémoire de recherche sur la question de la transmission du jazz vocal, ce qui m’a amené à découvrir le travail de Marie Buscatto, une sociologue du travail, du genre et des arts qui a travaillé sur le sujet. Quand j’ai lu son ouvrage Femmes du jazz – Musicalités, féminités, marginalisation, je me suis dit que c’était mon histoire qu’elle racontait. Son analyse de phénomènes sociologiques ou anthropologiques, à partir de témoignages, m’a vraiment marquée et c’est ce qui a été le point de rencontre avec Guillaume : lui avait une bonne connaissance des compositrices dans l’histoire et moi j’avais cette expérience très subjective du milieu. C’est comme ça qu’on a écrit à quatre mains la conférence Super jazz women durant laquelle on évoque et interprète différentes œuvres et musiciennes de jazz à travers lesquelles on aborde des phénomènes sociaux comme l’invisibilisation, l’intériorisation ou l’essentialisation qui sont à l’œuvre dans les carrières des femmes du jazz. A l’occasion d’une représentation de cette conférence au Petit Faucheux, une personne dans le public nous a soufflé l’idée de l’adapter en podcast. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde puisque Françoise Dupas, à l’époque directrice du lieu, avait rebondi et mis en route ce projet. On a donc réécrit la conférence en conservant les portraits des musiciennes du passé en les confrontant à des musiciennes contemporaines, invitées à parler de la manière dont elles se sont construites dans ce milieu. Ça a aussi été l’occasion de partager un moment musical avec elles.
On avait d’abord envie de mettre la musique au premier plan, de partager des univers musicaux et de les faire connaître au public
Quelle utopie se cache derrière votre projet ?
GH : Il y a, de manière assez claire, un constat qui est posé sur la faible présence ou l’invisibilisation des femmes dans le jazz. Moi, en tant que musicien, j’avais quelques modèles féminins mais principalement des modèles masculins car ce sont des figures davantage médiatisées, valorisées. L’utopie de ce projet, ce serait de montrer toutes les figures féminines qui illustrent l’histoire du jazz et qui peuvent servir de modèles à de jeunes musiciennes.
CC : Pour moi, il y a un peu « rendre à César, ce qui est à César ». En préparant la conférence et en faisant nos recherches, j’ai réalisé que nous-mêmes nous transportions, alimentions de façon inconsciente les phénomènes d’invisibilisation, d’essentialisation. Et avant tout, on souhaitait que la musique soit au premier plan, quelle que soit la personne l’a écrite.
Il s’agit d’un exercice d’admiration puisque notre motivation, c’est de partager la musique soit par des extraits, soit par une proposition d’interprétation
Qui embarquez-vous dans ce projet ?
Mathieu Durieux (MD) : Comme évoqué par Chloé, c’est effectivement Françoise Dupas, notre ancienne directrice – à qui nous souhaiterions rendre hommage – qui a saisi la balle au bond à l’issue de la conférence et a souhaité soutenir ce projet de podcast. Nous avons ainsi accompagné Chloé et Guillaume dans la réalisation concrète des épisodes : trouver une journaliste et réalisatrice de podcast, Lucie Baverel, pour les accompagner, sélectionner les artistes invitées pour proposer une grande diversité de générations, d’esthétiques etc, et enfin les accompagner dans la réalisation technique, la captation. Les deux premiers épisodes ont été enregistrés au Petit Faucheux, puis les autres au Conservatoire de Tours. Pour nous, ce format était une vraie nouveauté ! En parallèle de ce projet, nous avons également développé un podcast dédié à l’ensemble de nos dispositifs d’actions culturelles : Les actions culottées du Petit Faucheux.
Quel moment avez-vous préféré dans ce projet ?
CC : Pour moi, je dirais que c’est ceux où on plongeait dans l’action, dans le podcast avec notre invitée. On s’est jetés à l’eau quoi ! J’ai trouvé ça très vivant comme exercice parce qu’on a préparé des choses et finalement en le traversant avec l’invitée on se retrouve surpris·e·s des réactions de chacun·e, y compris de nous-mêmes. On était complètement prêt·e·s à ce que ça prenne un chemin différent et j’ai trouvé ça super. On essayait d’être à l’écoute, un peu comme quand on fait de la musique finalement.
GH : C’est vrai, c’était une improvisation. En tant que musicien·ne·s, nous sommes peu confrontés à cette situation, on parle de musique entre nous mais de manière informelle, là les conditions étaient très différentes et malgré le fait que ce soit enregistré, c’était tout de même très différent des discussions avec des journalistes comme dans le cadre d’une promotion par exemple. C’était un vrai moment de liberté.
MD : Je n’ai pas assisté à toutes les étapes de création mais je retiendrais la rencontre avec toutes les invitées, c’était très intéressant.
CC : J’ajouterai aussi le fait d’être accompagné par Lucie Baverel. En tant que musicienne, j’aurais aimé qu’on me soutienne de cette façon, je me serais sentie moins seule. Elle a fait ça avec beaucoup de feeling, de pédagogie, elle nous a poussé à nous affirmer dans ce projet
Quelle(s) figure(s) féminine(s) vous a inspiré ce projet ?
GH : Je dirais Mary Lou Williams parce qu’il y a longtemps, j’ai découvert Zodiac Suite, une suite de 12 morceaux qu’elle a composée en 1945. Il n’existe que deux enregistrements de cette suite : un où elle est jouée en trio et un autre avec un orchestre mais qui est une version incomplète et mal enregistrée. A l’époque je dirigeais un Big band d’étudiant·e·s à Tours et j’avais retranscrit une version pour orchestre à partir de l’enregistrement en trio. Cette histoire traduit bien la façon dont les musiciennes de jazz ont eu des difficultés et peu de moyens pour faire exister leur musique comme elles auraient voulu qu’elle existe. D’ailleurs à l’occasion du travail de documentation réalisé pour ce projet, nous avons constaté à quel point il fallait chercher intensément dans les archives pour s’informer sur la carrière de ces femmes puisque leur travail était peu documenté. Et puis par ailleurs, c’est une pianiste accomplie et géniale dont je suis fan.
CC : Moi j’ai été très marquée par l’archive de l’orchestre féminin « The International Sweethearts of Rhythm », la vidéo date des années 1940. C’est un big band entièrement féminin et ça swing vachement, c’est émouvant de voir ça.
MD : Quand je réfléchis à ce projet, je pense d’une part à Françoise Dupas qui est à l’initiative du projet avec Chloé et Guillaume mais aussi à mes filles, qui font toutes les deux de la musique et qui ont besoin de modèles artistiques féminins. Je pense que ce projet y contribue, c’est très important de rendre justice aux artistes du passé et de mettre en lumière les femmes artistes qui font le jazz aujourd’hui.
Quelques ressources complémentaires !
Lecture : Marie Buscatto, Femmes du jazz. Musicalités, féminités, marginalités, CNRS, 2007
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