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What About Her ? – Marie Ménage

Juil 5, 2022

Attachée dès son enfance à son combo radio-cassettes-vinyle, puis musicienne dans des groupes hardcore, noise dès la fin de l’adolescence, Marie Ménage se qualifie souvent de passionnée de la musique, mais surtout de concerts et si possible, de musiques qui envoient ! Dans cet univers, elle a découvert progressivement les multiples facettes des métiers techniques, de l’accueil catering au montage et démontage de scènes, en passant par la régie plateau, jusqu’à construire pas à pas son parcours professionnel dans ces sillons-là. Marie Ménage est aujourd’hui la régisseuse générale du Tetris au Havre et ce, depuis 10 ans.

Clin d’œil architectural aux amateurs et amatrices de jeux d’arcade, le Tetris c’est aussi la scène de musiques actuelles de l’agglomération havraise ! Situé sur les hauteurs de la ville du Havre, dans le Fort de Tourneville, une ancienne friche militaire de six hectares, transformée en lieu culturel multidisciplinaire, le Tetris a ouvert ses portes en 2013. Salle de spectacles dédiée aux musiques actuelles, mais aussi à la création numérique et aux arts plastiques, le Tetris est aussi un espace de vie autour de son bar-restaurant ouvert quasiment tous les jours, un espace de création et de rencontres artistiques.

Si vous préférez les temps forts, peut-être avez-vous entendu parler du Ouest Park qui se déroule également au Havre dans l’enceinte du Fort ! Et bien c’est aussi la joyeuse équipe de la Papa’s production, association qui depuis 20 ans agite les arts et les musiques au Havre qui propose ce festival en plus de ses autres nombreuses activités qui ont lieu toute l’année où ça, vous l’avez deviné, au Tetris !

Entretien avec Marie Ménage

Marie, quel est l’élément déclencheur qui t’a donné envie de travailler dans la culture ?

Ça commence assez loin ! Adolescente, j’avais un groupe de copains qui faisaient de la musique, qui reprenaient du métal et avec mes deux copines de l’époque, on s’est dit pourquoi pas nous aussi ! On a chacune pris un instrument, moi la basse, une la guitare, l’autre la batterie et on a commencé à faire des reprises de hardcore. Ça a commencé comme ça pour moi, la découverte de la musique !

Et puis il y avait aussi les concerts ! Dès l’âge de 15 ans environ, à Rouen où j’ai grandi, chaque occasion de voir un concert était la bonne. Nous avions aussi des potes qui jouaient dans des groupes que nous suivions. C’est venu comme ça, dans cette énergie et cette faim de musique, progressivement, mais intensément. J’ai très vite adoré le live, les concerts, j’allais voir beaucoup de hardcore-metal, environnement très masculin ! En tant que filles, on pouvait se compter sur les doigts de la main, mais j’aimais bien l’ambiance de solidarité, d’entraide, de débrouille, les fanzines… tu pouvais être un petit groupe local et jouer devant une tête d’affiche incroyable dans ce style musical !

La passion de la musique c’est venu très tôt, quasi depuis toujours je me revoie enfant chanter dans ma chambre avec ma platine 45 tours

J’ai commencé tôt ma vie professionnelle par une série de petits boulots, dont un qui m’a permis de mettre un pied dans l’univers culturel et musical.  J’ai travaillé pour un agenda culturel, Bazar, qui était né au Havre et qui voulait se développer sur Rouen, ce qui m’a permis de développer tout un réseau de connaissances des associations qui organisaient des concerts, des lieux où les groupes pouvaient jouer. Parallèlement, je poursuivais la musique, au début des années 2000 je jouais dans Améthyste un groupe plutôt noise, on était deux femmes – deux hommes.

Après 2 ans chez Bazar, j’ai eu envie de me professionnaliser davantage dans le milieu culturel. Je suis rentrée en formation en « management et communication des entreprises culturelles » à l’IC’COM à Paris. C’était une formation très généraliste qui se terminait par une période de stage. À Rouen, à l’époque il y avait un seul entrepreneur de spectacles, Volume productions qui m’a accepté en stage. Volume avait été créée par un homme de la génération des self-made men dans ce milieu. L’intérêt de ce stage, c’est que je faisais un peu tout, la communication, les road book, l’accueil artistes, de l’administration…  Il organisait beaucoup de concerts à Paris, à la Maroquinerie, il avait tout le label canadien Constellation dans son catalogue, Vic Chesnutt, Silver Mount Zion, mais aussi  CocoRosie, Peaches… Le premier concert que j’ai organisé avec lui, c’était à l’Elysée Montmartre avec Peaches et son live band !! Elysée Montmartre où j’avais vu mon 1er concert sur Paris avec Slayer et Kickback en 1996 ! J’étais wouahhoou sur un nuage, j’adorais ces groupes et là ça devenait mon univers professionnel !

Et puis quand nous organisions des concerts avec Volume, j’arrivais la première dans les salles, j’étais confrontée aux équipes techniques, je passais du temps avec eux à observer ce qu’ils faisaient, parfois à leur poser des questions. J’ai découvert petit à petit cet univers des métiers techniques.

Suite à ce stage, j’ai été embauchée chez Volume via un contrat aidé à l’époque. J’ai commencé à assister les régisseurs sur les concerts à Paris. Ça m’a donné envie au bout de deux ans de me lancer dans une formation technique, j’avais déjà 28 ans.

J’avais entendu parler d’Issoudun… je suis rentrée en formation de régie de production (RP 11) et j’ai fait mon stage au Rock dans tous ses états et à l’Abordage à Evreux. Ça s’est très bien passé même si oui, j’ai croisé des régisseurs bourrus qui ont testé professionnellement la « ptite meuf » qui arrive. Mais au sortir de cette expérience, je ne me sentais pas du tout capable de postuler à des postes de régie de production. Pour moi, j’avais des bases théoriques, mais pas assez d’expériences, de pratiques de terrain. Je suis partie vivre à Rennes avec comme seul contact dans la musique, François Templé, qui était directeur technique sur beaucoup de festivals. Il m’a embauchée au début pour faire du démontage de scène, de la ferraille, avec l’obligation (que tu te mets immédiatement) d’assurer physiquement dans un univers masculin qui te jauge comme si tu avais pris la place d’un de leur pote, mais tu ne lâches rien ! J’ai fait pas mal de bénévolat dans cette période rennaise, au Mondo Bizarro, aux Ateliers du Vent, structures qui fédéraient beaucoup d’artistes, notamment en théâtre de rue. Un régisseur m’a un pris sous son aile et de fil en aiguille m’a embauchée pour faire de la régie sur un évènement d’art de rue qu’ils organisaient. J’ai aussi fait un stage à l’Antipode, puis les Ateliers du Vent m’ont réembauchée régulièrement jusqu’à me proposer de faire leur régie pour le festival Chalon dans la rue, gros dossier !! Superbe expérience très formatrice en régie.

Je suis revenue sur Rouen où j’avais plus de contacts. J’ai commencé à travailler au 106, la scène de musiques actuelles. Le Rock dans tous ses états, m’a rappelée pour me confier la régie d’une de leurs scènes ; le festival Ouest Park au Havre également. J’ai travaillé aussi sur des spectacles jeunes publics par l’intermédiaire d’une copine qui m’avait transmis la proposition. Ce fut une expérience très formatrice, il fallait gérer la régie, le son, la lumière, gérer les montages. J’ai commencé à me faire une expérience en technicienne plateau, régie plateau… C’était hyper intéressant de découvrir les différentes facettes de ces métiers liés à technique.

J’ai réussi à faire deux statuts d’intermittente en 4 années, grosso modo.

Et puis fin 2011, la Papa’s Production allait ouvrir la salle du Tetris au Havre. Ils ont publié une offre d’emploi de régisseur/régisseuse générale du projet. Comme j’avais déjà travaillé avec eux sur le festival Ouest Park, Franck Testaert (le directeur) m’a appelée en m’invitant à postuler, mais je ne me sentais pas à la hauteur, je me voyais comme une régisseuse plateau, mais de là à prendre la régie d’un lieu… et puis j’ai finalement postulé en réfléchissant à cette belle opportunité de m’engager sur un lieu qui ouvrait ! J’ai été prise sur le poste fin février 2012 et les concerts ont commencé sous chapiteau mi-mars en attendant l’ouverture de la salle. Comme nous étions maître d’ouvrage du bâtiment, ça m’a permis également de découvrir cette phase de préfiguration, de choix d’équipements, de scénographie… encore une expérience très enrichissante professionnellement.

Au bout de 5 ans, j’ai beaucoup délégué, j’ai eu un enfant entre temps ce qui m’a forcé à aménager mes temps de présence, à trouver une autre organisation !

On a ouvert le Tetris en septembre 2013 et là c’était parti pour la folie, je faisais la régie générale et la régie plateau sur toutes les dates, c’était intense !

Peux-tu nous partager le quotidien de ton métier ?

Alors, il y a la phase de préparation en amont des concerts. Une fois les artistes de la soirée booké·e·s par mon collègue programmateur, une fois leurs contrats négociés, je récupère alors les fiches techniques de chaque groupe, je les compare avec le matériel dont nous disposons au Tetris. Ensuite, je contacte soit la production, soit la personne qui s’occupe de la régie du groupe et là commence un échange pour préparer au mieux la date : le bon timing en fonction de leur arrivée, des besoins en balances, de l’organisation générale, un accord sur les besoins techniques, le cas échéant des demandes de devis pour compléter le matériel que nous avons au Tetris. Je constitue également les équipes techniques de la soirée. C’est beaucoup de préparation, de travail de bureau en fait, en amont de la soirée, d’échanges de mails et de coups de fil.

Le jour J, on accueille les artistes, on aide au déchargement, on installe le matériel sur scène, on fait ce qu’on appelle le patch micros, les artistes font leurs balances. Je dois veiller également au respect des horaires et à la sécurité des travailleur·seuse·s, des technicien·ne·s. Une fois les balances finies, pendant la pause repas, je vérifie que rien ne traîne dans la salle, que les issues de secours sont dégagées, que nous sommes prêt·e·s à accueillir le public dans les meilleures conditions possible ! Ensuite, c’est parti, je vais chercher les artistes en loges pour commencer la soirée ! Mon rôle est aussi de veiller à ce que les artistes soient dans de bonnes conditions pour qu’ils et elles puissent livrer un bon concert sur scène, que le timing soit respecté.

Une fois le concert fini on fait tout dans le sens inverse ! On démonte le matériel, on récupère les micros, on range le matériel, on aide au chargement et on accompagne le départ des groupes !

Au Tetris, il y a aussi des expositions, il faut aussi gérer les montages, les démontages. Pareil pour les résidences. Comme pour les concerts, il faut étudier les fiches techniques, préparer les conditions d’accueil de la résidence, accueillir les groupes. Et pour le festival Ouest Park, c’est puissance 3 ! Il y a environ 30 groupes sur 3 jours et aussi l’accueil des prestataires chapiteaux, etc. C’est beaucoup de logistique en fait !

Ce qui me fait le plus vibrer dans tout ça, c’est quand les artistes sont sur scène, que le public est à fond et que tout le monde est ravi, là je me dis que c’est vraiment pour ça que je fais ce métier. Sentir les gens heureux et quand les artistes repartent en saluant l’accueil technique, c’est valorisant, ça fait partie de la reconnaissance de tous ces métiers qui restent souvent dans l’ombre, c’est chouette et ça fait du bien ! C’est beaucoup d’humain ! Ça fait bientôt 10 ans que je suis au Tetris, je ne connaissais personne quand je suis arrivée et maintenant c’est moi qui constitue les équipes. J’ai vu passer beaucoup de jeunes en stage et c’est motivant de les voir eux-mêmes créer des assos, organiser des concerts.

 

Comment vois-tu ton futur professionnel ?

Plus ça va, plus je me rends compte que j’aime transmettre. Alors, pourquoi pas m’impliquer petit à petit dans des actions de formation quand l’occasion se présente. Mais j’aime aussi mon taff au Tetris, le lieu est convivial, l’équipe est top. Avec mon ancienneté, ma prise de responsabilité je commence à être bien payée, j’ai commencé à 1400 € net pour être aujourd’hui à 1900 €, tout ça fait que je ne suis pas pressée de partir du Tetris. Mais si je devais partir, j’aimerais aller vers de la régie d’évènements, de festivals.

Comment as-tu vécu le fait d’être une femme dans ce milieu très masculin ?

En fait, il y a vingt ans je ne me posais pas trop la question, même si oui, j’ai entendu les réflexions qu’on fait souvent aux jeunes musiciennes « à poil !», « c’est pas mal pour une meuf ! ». Mais c’était vraiment un milieu qui me plaisait. Quand j’ai commencé en technique, peu m’importait ces réflexions, je voulais travailler dans ce milieu, me former, être compétente et exercer ce métier. Et puis j’ai eu une part de chance, celle de travailler avec des hommes pas du tout sexistes, qui m’ont appris beaucoup de choses et qui m’ont respectée vraiment pour mes compétences. Mais, je suis bien consciente que c’est une chance que toutes les femmes n’ont pas eue dans ce métier.

Après, quand j’ai commencé en régie au Tetris, il y avait très peu de régisseuses générales dans le secteur, ça créait la surprise chez les groupes qu’on accueillait. Ils me testaient un peu, quelques petits pièges tout au long de la journée, pour voir si j’assurais ou pas, mais ils repartaient souvent en me remerciant pour la qualité de l’accueil technique, et là c’était gagné ! Par contre, il ne faut pas trop se démonter face à ces comportements ! Le fait d’être une femme dans un métier d’hommes m’a même parfois facilité certaines relations avec des personnes qui avaient envie de me soutenir, de me transmettre davantage.

Il est où le régisseur ? Bonjour, c’est moi la régisseuse.

Quels conseils donnerais-tu à une personne qui souhaiterait devenir régisseur·se générale ?

Commencer par faire du bénévolat pour découvrir les métiers, préciser ses centres d’intérêt, confirmer son projet professionnel, voire si c’est la production, la technique son, lumière ou plateau qui t’intéresse. Se former, acquérir des compétences, se forger une expérience, construire son réseau par de premières expériences, parfois bénévoles. Ne pas trop douter de soi, même si cela arrive à un moment donné, oser aller vers des postes qu’on ne maîtrise pas pleinement pour apprendre, sans bien sûr se mettre trop en danger. Y croire et apprendre pour se sentir à l’aise dans ses fonctions !

 

Penses-tu que le métier a évolué depuis que tu l’exerces ? 

Oui, je constate une réelle évolution depuis la vingtaine d’années que j’exerce ce métier. Quand j’ai débuté, les « vieux régisseurs » avaient tous appris sur le tas, il n’existait pas de réelle formation à l’époque, mis à part celles d’Issoudun, peut-être. Ils regardaient avec une certaine méfiance les plus jeunes qui arrivaient sur le marché du travail en sortant de formation, ultra motivé·e·s. En dix ans déjà, de nombreuses offres de formation se sont développées et beaucoup plus de femmes aussi exercent ce métier, même si on est encore loin de la parité. Par contre, en ce moment on subit un peu de « féminisme washing » sur ces fonctions-là aussi ! Tout le monde voudrait une femme dans son équipe technique ! D’un certain point de vue, c’est tant mieux, mais il faut qu’on soit embauchées sur nos compétences, pas parce qu’on est des femmes ! Le matériel a aussi beaucoup évolué ce qui fait bouger les façons d’exercer le métier !

En tant que femme, il faut prendre le temps de se former, d’être sûre de soi pour assumer sa fonction, sa posture professionnelle dans cet univers très masculin

Dans tes fonctions, portes-tu une attention particulière aux moyens de favoriser l’insertion professionnelle des techniciennes dans les musiques actuelles ? 

Depuis janvier 2022, j’ai accueilli sept stagiaires en technique, du stage d’observation au stage de reconversion professionnelle, dont seulement 1 homme. Je travaille régulièrement avec une régisseuse plateau et une technicienne lumière. Je pense que le fait d’avoir une femme en régie générale au Tetris, ça se sait, et ça favorise aussi les candidatures d’autres techniciennes. 

Au-delà de mes fonctions au Tetris, j’organise aussi un festival « Support our local scene » autour des musiques punk, rock, noise, garage… on très est attentives à ce que la programmation permette aux musiciennes d’y avoir toute leur place. De la même façon pour les journées du matrimoine, je m’implique dans une soirée « Go Girlzzz » qui valorise les musiciennes locales. J’anime aussi une émission de radio « le chant des Sirènes » » où l’on parle féminisme ! 

Pour moi, il y a 20 ans le féminisme c’était juste les femmes qui n’aimaient pas les hommes et je ne me posais pas la question de savoir si je me sentais féministe ou pas ! En fait, avec du recul, je me dis que j’ai toujours été féministe dans beaucoup de choses de mon quotidien. 

C’est maintenant que j’ai 42 ans que je me dis que je suis féministe et que j’arrive à l’assumer et le revendiquer !

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